jeudi 22 mai 2014

9 octobre 1757 : naissance de Charles-Philippe, comte d'Artois et fils de France.

1757, « l'année de la Comète¹ ». L'idée était encore couramment répandue à la fin de l'Ancien Régime que ces astres célestes avaient amorcés le Déluge et que leur retour pourrait annoncer de nouvelles catastrophes sur la Terre. Cette année-là ... le roi de Prusse affirmait sa puissance grandissante et le roi Louis XV était la victime d'une tentative d'assassinat.

L'horrible attentat du 5 janvier 1757 (estampe anonyme, n.d., Bnf)


   
1. « Je n'en reviendrai pas ! »

Le 5 janvier 1757, Louis XV se dirige vers son carrosse, pour quitter Versailles, lorsqu'un homme se jette sur lui. « On vient de me donner un coup de poing » s'exclame le roi qui porte la main à sa douleur et la découvre ensanglantée. La garde se précipite pour arrêter cet homme qui ne s'est pas découvert devant le roi. On remonte difficilement le souverain dans une chambre qui n'est pas prête à le recevoir avant qu'il ne perde connaissance. Dans les heures qui suivent, la rumeur se propage dans Paris : on a poignardé le roi !

Heureusement, la blessure n'est que superficielle et la vie du monarque n'est pas en danger. Il n'en reste pas moins que Louis XV reste prostré dans son lit, psychologiquement abattu, arguant que sa douleur est bien plus profonde que l'on pense « car elle va jusqu'au cœur² ». Mais qui est donc ce François-Robert Damiens qui a attenté à la vie du roi ? Né en Artois quelques mois avant la mort de Louis XIV en 1715, il est un personnage à la vie tumultueuse, régulièrement engagé comme domestique chez des parlementaires parisiens qui vitupèrent contre Louis XV. Influençable, il se serait convaincu de ces dires et de la nécessite de punir le roi. Condamné à mort, il est exécuté publiquement dans d’atroces souffrances ; sa famille vouée à l'exil et à l'oubli. Sa vie et le célèbre attentat dont il se rendit coupable sont encore régulièrement l'objets de débats et de thèses pour les historiens³.

Toujours est-il que le pays d'Artois, vieille province dans le nord du royaume, se trouve être affublé du souvenir d'un régicide. Alors des représentants réunis envoient à Louis XV une délégation chargée de lui présenter des excuses en lui proposant de payer, pour l'année en cours, le double de ce que l'Artois doit fournir « en argent et en hommes pour le service de la Couronne⁴ » - bien que la chose soit difficile au regard des récoltes de l'année précédente. Le roi refuse ce sacrifice et assure les représentants d'Artois de son absence de rancune à leur égard.

2. « Le trône paraît bien assuré dans la maison royale. »

     2.1 Charles, le prédestiné ?

Le Dauphin a déjà trois fils - Louis Joseph (né en 1751), Louis Auguste (né en 1754, futur Louis XVI) et Louis Stanislas (né en 1755, futur Louis XVIII) - quand il apprend que son épouse est à nouveau enceinte. Une anecdote plaisante nous est rapportée par Beffroy de Reigny concernant les jours qui précédèrent la naissance de l'enfant :
« J'ai raconté quelque part, si j'ai bonne mémoire, qu'un diseur de bonne aventure, passant par le château où se trouvait Louis XV, lui prédit qu'un de ses fils serait détrôné, et le royaume en combustion ; mais qu'un autre de sa famille, nommé Charles, remettrait les choses dans l'ordre. Louis XV eu la faiblesse de se frapper l'imagination de cet horoscope ; et il est certain que le comte d'Artois, dont la Dauphine était alors enceinte, n'eut Charles pour premier prénom à son baptême, qu'à cause de cette fantaisie du Roi qui avait l'esprit frappé ; car on lui eût donné d'abord, sans cela, le nom de Louis, comme aux autres⁵. »
Consignée pendant la Révolution Française, cette légende fut abondamment reprise en 1825 par les nombreux biographes de Charles X, toutefois prudents sur une information dont ils laissaient le soin aux lecteurs de l'interpréter, comme en témoigne le mot d'Abel Hugo (qui précise en couverture que son ouvrage est de « bonne foy ») :
« Quoiqu'il en soit de cette espèce de prédiction, nous avons pensé qu'elle pourrait intéresser nos lecteurs, aujourd'hui que nous sommes si près de la voir se réaliser⁶. »
Charles, s'il n'était pas le plus courant, était un prénom princier régulièrement attribué à un Fils de France : le Grand Dauphin, fils de Louis XIV, prénomma ainsi un de ses fils en 1686.

Acte de naissance du comte d'Artois, 9 octobre 1757 (Registres de baptêmes de l'église Notre-Dame de Versailles)





   
     2.2 Charles-Philippe, comte d'Artois.

Le 9 octobre 1757, jour de la saint Denis, la Dauphine ressent les premières douleurs de l'accouchement. Barbier, le chroniqueur du règne de Louis XV, nous apprend qu'on a sonné les cloches à Notre-Dame pour les prières des quarante heures avant d'apprendre, peu après, la naissance heureuse d'un garçon au château de Versailles. Selon la tradition, l'enfant est ondoyé par le premier aumônier du roi, l'abbé Nicolas de Bouillé, et le curé de la paroisse Notre-Dame de Versailles consigne dans son registre la naissance d'un prince. Le soir, des coups de canon à Paris et aux Invalides sont tirés en son honneur.

Ses frères aînés sont respectivement ducs de Bourgogne et de Berry ; Louis-Stanislas comte de Provence. Charles-Philippe est titré comte d'Artois par Louis XV, probablement pour assurer les habitants du pays d'origine du criminel Damiens qu'il ne leur tient aucune rancune. Cette hypothèse est soulignée par plusieurs chroniqueurs d'époque, dont Barbier, qui écrit :
« Le hasard peut avoir eu part à ce nom, mais aussi la politique, pour consoler cette province d'avoir donné naissance au monstre Damiens et l'assurer par là de la protection du souverain⁷. »
La marquise de Crécy avance les mêmes arguments, majoritairement repris aujourd'hui par les historiens. Quelques jours plus tard, des représentants d'Artois se rendent auprès de Louis XV pour le remercier de l'honneur qui est fait à leur province. Le dimanche 23, un Te Deum est joué à Notre-Dame pour le nouveau prince.

Avec ce quatrième petit-fils de France né à l'orée des années noires du règne de Louis XV, l'avenir de la dynastie paraît bien assuré. Barbier, quasi visionnaire, termine son récit de l'accouchement par deux observations qui prennent, rétrospectivement, tout leur sens :
« On peut dire, à présent, que le trône paraît bien assuré dans la maison royale. Mais il faut dire aussi que ce nombre de quatre princes vivants sera une grande dépense pour l'Etat pour le présent, et encore plus pour l'avenir⁷. »
Représentation de la naissance du comte d'Artois (estampe anonyme, n.d., Bnf)


   
- Bibliographie non exhaustive -

Ouvrages
. Michel Antoine, Louis XV, Paris, Fayard, 2006.
. Georges Bordonove, Charles X (1824-1830), Paris, Pygmalion, 2008.

Sources
. Edmond-Jean-François Barbier, Journal historique et anecdotique du règne de Louis XV. Tome 4, Paris, Renouard, 1847-1856.

Documents
Bibliothèque Nationale de France.
Archives départementales des Yvelines.

- Références -

¹ Antoine 2006 p. 721-722.
² Antoine 2006 p. 714.
³ Voir notamment le roman historique de Marion Sigaut, Mourir à l'ombre des Lumières, l'énigme Damiens, Paris, Ed. Jacqueline Chambon, 2010.
Marquise de Crécy, Souvenirs de la marquise de Crécy. Tome 4, Paris, Garnier frères, 1873, p. 43.
Louis Abel Beffroy de Reigny, Dictionnaire néologique des hommes et des choses, Paris, Libraire Moutardier, An VIII.
Abel Hugo, Vie anecdotique de Monsieur, comte d'Artois, aujourd'hui S. M. Charles X..., Paris, J.-M. Maurice, 1824, p. 199.
Barbier 1487-1856, p. 241.

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