Avant-propos

« Il est triste de penser que je ne reverrai plus jamais la France ! »
- Charles X (Goritz, 1836) -



En 1967, en exergue de l'étude qu'il lui consacre, Jean-Paul Garnier constate que Charles X « ne retient pas, en général, l'attention des curieux d'histoire ». Pire, il « semble décourager la curiosité et même la sympathie ». Quelques années plus tard, José Cabanis est plus radical encore et tranche : « Comment peut-on s'intéresser à Charles X ? » Il faut leur reconnaître ici le mérite de l'avoir fait - avec beaucoup de qualités. Les historiens n'ont pas été nombreux à écrire la vie du dernier frère de Louis XVI et dernier Roi de France et de Navarre. Les titres de leurs ouvrages sont pourtant évocateurs de l'intérêt d'une étude approfondie et renouvelée : le dernier roi, le proscrit, la fin d'un monde, roi méconnu, dernière chance. Charles X semble condamné pour jamais à l'exil, des mémoires et de sa terre natale (il est toujours inhumé en Slovénie), et souffre encore d'une écriture de l'histoire dont il ne pouvait suivre le sens inéluctable.

Historiographie
Sa vie a pourtant été largement commentée, de son vivant. Ses contemporains, d'abord, ont consignés les faits et gestes de ce comte d'Artois frivole et dépensier, non dénué des qualités de représentation que se doivent d'arborer les princes. Un nombre important de mémoires ou de souvenirs des élites de la fin de l'Ancien Régime ou des débuts du XIXe siècle évoquent la personnalité ou quelques événements de l'existence versaillaise puis exilée du comte d'Artois. Cette longue période de vingt-cinq ans, pendant laquelle une cour princière, réduite mais enfermée dans ses certitudes, se reforme dans plusieurs pays limitrophes de la France révolutionnaire, est probablement une des plus intéressantes dans la vie du futur souverain. Elle nous est connue là encore par les témoignages des contemporains. La correspondance entre Artois et le comte de Vaudreuil est précieuse pour cette époque où les idées des exilés doivent s'adapter aux événements dramatiques qui secouent la France. Les source sont nombreuses et doivent servir à éclairer au mieux des années où semble s'être forgée une grande partie de la mauvaise réputation du comte d'Artois. On se souvient du mot de Charette après l'imbroglio de l'île d'Yeu : « Sire, la lâcheté de votre frère a tout perdu. ! »

Monsieur à la mort de Louis XVII, il est, dans les premières années de la Restauration, associé aux ultras et au parti prêtre. Malgré l'effort dynastique de renouer la chaîne des temps - en imposant et idéalisant la figure du bon Roi Henri notamment - l'historiographie, là encore, ne peut le démarquer d'un retour dans les « fourgons de l'étranger. » Le terme est resté et encore réemployé de nos jours dans des ouvrages de vulgarisation. Devenu Roi, centre de toutes les attentions, il est l'auguste souverain des hagiographes au service de la monarchie et l'évêque bouffon des caricaturistes qui usent de la liberté de la presse retrouvée. Cette dichotomie de la représentation du chef de l'Etat semble étonnamment moderne et montre à quel point la Restauration a été, avec l'affirmation politique du parlementarisme, un moment fondateur de notre Histoire contemporaine. Charles X est un acteur incontournable de cette inévitable évolution.

Alors pourquoi si peu d'intérêt de la part des historiens, qui lui préfèrent une étude plus politique de la période ? L'historiographie française du XXe siècle avait, certes, délaissée progressivement les approches traditionnelles de l'histoire par le haut et, plus encore, le genre biographique, méprisé par des historiens soucieux d'une crédibilité scientifique qu'indispose la biographie, forcément liée au littéraire, voire à la fiction. Les ouvrages de La Gorce (1927), Garnier (1967) et Cabanis (1972), si sérieux et documentés qu'ils soient, ne sont d'ailleurs pas des biographies proprement dites, mais plus des études de la Restauration au prisme d'une personnalité emblématique. Cabanis s'en explique : « C'est leur portrait [les ultras], bien plus que celui d'un roi, que j'ai voulu faire. » La question du littéraire revient dans les années 1980 avec l'ouvrage d'André Castelot qui raconte la vie de Charles X comme un roman, en prenant part directement à son récit. Georges Bordonove n'y échappe pas non plus dans son étude de 1990, imposant un nouveau parti-pris sous-jacent : celui de la réhabilitation. Plus stimulant, l'ouvrage de Landric Raillat (1991) s'attache à montrer ce qu'il en fut vraiment du sacre de Charles X en 1826, usant abondamment de sources méconnues pour retracer un événement majeur de la Restauration que d'autres historiens règlent en quelques pages formatées vers une idée : un retour volontaire à l'Ancien Régime, caractéristique de l'ultra conservatisme du monarque.

La question semble réglée depuis la fin du XIXe siècle, Charles X est un symbole du retour en arrière, de « l'absolutisme entêté et dévot ».

Nouvelles perspectives
En marge de cette histoire peu remise en question, on aurait tendance à oublier que Charles X fut un homme, avant tout. Ajouterais-je même, un homme de son époque, l'Ancien Régime. Plus que ses actes, ses pensées ou ses erreurs, c'est l'écriture de l'histoire qui a favorisée sa relégation. La IIIe République et le roman national ont influencés pour longtemps la mise en scène du passé collectif - et continue de le faire. La Restauration et les derniers Bourbons ont été enterrés avec un catalogue d'idées reçues, toujours utilisées dès lors qu'il s'agit de résumer en grandes lignes la vie du dernier Roi de France et de Navarre. Leurs idées, leurs principes et leurs actions ont été analysées au prisme de la marche en avant vers la République, voire la démocratie. Des hommes hors du temps, de leurs temps révolu.

Les nouveaux apports de l'histoire des élites au XIXe siècle montrent une persistance de l'Ancien Régime après la Révolution Française, et ce jusqu'à la première guerre mondiale (A. Mayer, 1983). Un Ancien Régime revisité si l'on peut dire, qui ne porterait pas son nom et qui ne prendrait fin qu'au milieu du XXe siècle. Les études ont été principalement locales (C.-I. Brelot, 1992 ; Figeac, 1996) et il en ressort une nouveauté : la noblesse française, loin de se replier sur elle-même au sortir de la révolution, pour ne rester qu'un « phénomène d'opinion », a joué un rôle important dans l'adaptation à la modernité et a su, la plupart du temps, se réinventer en tant que groupe social, montrant une identité forte, résistante à la bourgeoisie naissante et conquérante.

L'assise locale est plus confortable pour mener de telles études, fouillées au travers des archives privées des châtelains et d'une mise en lumière de la vie politique au village. Mais peut-on s'intéresser à une personnalité de premier plan - le roi de France - dans cette perspective de renouvellement de l'élite nobiliaire française après la Révolution ? Son serment sur la charte lors de son sacre, le rétablissement de la liberté de la presse, sa volonté d'incorporer la noblesse d'empire peuvent-ils être autant d'éléments manifestant une volonté, qui n'est pas nécessairement projetée, d'adapter une vieille élite traditionnelle (en l’occurrence la famille royale) aux réalités d'un monde qui change ? L'affirmation locale d'une noblesse réinventée peut-elle être transposée au plan national ? Autant de questions, peut-être sans réponses, qui méritent que l'on reconsidère la figure de Charles X.

Les enjeux de ce blog de recherche, d'actualités et d'informations sont nombreux mais tendent, avant tout, à cerner la figure d'un roi improbable : comment le quatrième petit-fils de Louis XV, né dans les fastes du Versailles de la monarchie absolue, éduqué pour n'être qu'un prince éloigné des réalités politiques de son temps, insouciant et en représentation, a-t-il un jour appréhendé l'idée de devenir le roi de France, après des années d'exil, la mort dramatique de son frère et d'une partie de la famille royale, un empire conquérant chargé d'une gloire nouvelle et une Restauration instable ? Le dernier Roi de France et de Navarre n'était pas destiné à l'être. Son incroyable destin en fait un personnage historique incontournable, à l'existence romantique et tumultueuse. Dès lors, comment ne peut-on pas s'intéresser à Charles X ?

Julien Morvan
2 juin 2014